Les enfants velcro
Près de 20% des Québécois de 25 ans et plus vivent chez papa-maman. Mais qui doit en faire les frais1? Michèle explose. "J'en avais jusque-là", dit-elle en plaçant sa main six pouces au-dessus de sa tête. L'an dernier, son fils de 27 ans, deux bacs en poche2 et une maîtrise en cours, rentrait au bercail4. Encore une fois! "C'était son troisième retour, raconte cette mère de Montréal. Le scénario est toujours le même: jamais question de laver une assiette ni de verser le moindre sou. Un matin, j'ai osé prononcer le mot "pension". Le lendemain, il déménageait chez un copain. Il m'a boudée pendant trois mois. Sommes-nous vraiment tenus d'héberger nos enfants jusqu'à ce qu'ils atteignent 60 ans?" On connaît tous de jeunes adultes qui habitent chez leurs parents. Scolarité qui se prolonge, rareté des emplois, dettes d'études, les raisons pour s'incruster sont multiples... "Le frigo est plein, l'auto est à la porte et la blonde dans le lit. Ils sont gras dur, diagnostique Michèle. Pourquoi partiraient-ils?" Près de 20% des Québécois de 25 ans et plus vivent chez papa-maman, véritables Velcro qui ne décollent plus ou boomerangs qui ne s'envolent que pour revenir. Sept pour cent y sont toujours à 30 ans. "Hier, leur cas semblait quasi pathologique. Aujourd'hui, la société s'est faite à l'idée", estime Marc Molgat, chercheur à l'Observatoire Jeunes et Société de l'INRS. La société peut-être, mais pas nécessairement les jeunes intéressés. Presque tous les témoins sollicités pour ce reportage ont exigé l'anonymat. Certains ont même refusé d'accorder une entrevue. "Admettre que tu vis chez tes parents à 30 ans, ce n'est pas tellement winner", m'a-t-on répondu. Si cette tendance est à la hausse14 depuis les 20 dernières années, le nombre de pères et de mères au bord de la crise de nerfs l'est également. "Nous recevons de plus en plus d'appels à ce sujet, dit Marie-France Beaudoin, animatrice à Entraide-Parents, à Québec. Bon nombre de parents ont l'impression d'avoir échoué dans leur rôle d'éducateurs. Ils sont découragés." Et financièrement frustrés. Les chers petits n'ont jamais été si bien nommés. Factures d'épicerie salées (surtout s'il faut aussi nourrir l'amoureux et les copains), notes de téléphone et d'électricité élevées... La cohabitation prolongée a un prix. Mais qui doit en faire les frais? La question fait bondir Marie-Ève, 25 ans, de Lévis, qui termine son bac, travaille à temps partiel, vit chez ses parents et vient de payer comptant16 sa voiture neuve. "Mes parents ont choisi de m'avoir. À eux d'assumer17." Au nom de la loi? Certainement pas. Rien n'oblige les parents à assurer le gîte à leur enfant de 18 ans, explique Dominique Goubau, qui enseigne le droit de la famille à l'Université Laval. "Il existe bien une obligation alimentaire, mais les juges sont loin de l'accorder automatiquement. En fixant la majorité à 18 ans, nous avons décidé, en tant que société, qu'un jeune est en principe capable de se prendre en main19 à cet âge-là. Il est donc normal qu'il le fasse." Le droit n'a pas toutes les réponses. "Certains enfants exploitent leurs parents. Mais, par crainte du rejet, par amour ou par pitié, des pères et des mères se laissent aussi exploiter", dit Constance Racine, coordonnatrice de la Maison de la famille de Québec. Sylvie Bourassa, conseillère budgétaire à Option consommateurs, voit de nombreux parents en arracher pour pouvoir s'offrir quelques jours de vacances par année pendant que leur jeune adulte économise en vue de futurs voyages. "Trop de jeunes s'imaginent que tout leur est dû. Les parents ne devraient jamais se sentir fautifs d'exiger une contribution. Même si elle n'est quepurement symbolique." L'équation miracle n'existe pas, explique la conseillère. "Si le jeune est aux études et travaille à temps partiel, une somme de 100 dollars par mois pour couvrir l'ensemble des frais peut être raisonnable. S'il travaille à temps plein, un partage des dépenses égal ou au prorata des salaires de chacun est envisageable. J'ai vu des cas où parents et enfant faisaient "tablette à part" dans le frigo, comme des colocataires. La gamme des possibilités est infinie." Selon une enquête réalisée en 1999 auprès de 2 000 adultes de 19 à 35 ans de la grande région de Vancouver, le tiers des enfants de 25 ans et plus qui habitent chez leurs parents versent une pension mensuelle moyenne de 450 dollars (520 dollars pour les filles, 425 dollars pour les garçons!). "Dans certains cas, les parents préfèrent que leur enfant économise pour être en mesure de partir plus vite", explique Barbara Mitchell, coauteur de l'enquête. Assurer la subsistance de ses oisillons plus longtemps est aussi une question de culture. La tendance actuelle nous rapproche de certains pays du sud de l'Europe, où les deux tiers des enfants habitent encore à la maison après 25 ans. Joanna, dont le père est d'origine grecque, est partie à 29 ans. "J'ai fini par avoir besoin de mon espace, mais ma présence était normale pour mes parents. Je n'avais à m'inquiéter de rien, les factures étaient payées et ma mère voyait à tout. C'était un peu comme vivre encore dans l'adolescence. Et j'étais aux études. Difficile, donc, de payer une pension..." Ménage, lavage, pelouse à entretenir ou courses à faire, les tâches à accomplir ne manquent pas dans une maison. Études ou pas, argent ou non, le principe du partage doit rester sacré, soutient Valerie Wiener, auteur de The Nesting Syndrome - Grown Children Living at Home (Le syndrome du "reste-au-nid": les enfants adultes vivant à la maison), publié en 1997 aux éditions Fairview Press, aux États-Unis, où la situation est aussi endémique. "C'est donnant, donnant. Si les parents n'étaient pas là, les enfants devraient se débrouiller. Ils vivent chez eux? La moindre des choses est qu'ils suivent les règles de la maison et assument leur part de responsabilités." Autre élément clé de la bonne entente, selon Valérie Wiener: le moment du départ doit absolument être fixé. "Quand le bac sera terminé ou quand le premier emploi sera décroché, peu importe. L'essentiel est que chacun sache à quoi s'en tenir. Quitte à réévaluer les choses le temps venu. Le flou est inconfortable pour tout le monde." Les jeunes les plus réfractaires à toute forme de partage sont en général ceux qui n'ont jamais quitté le foyer, observe Marie-France Beaudoin, d'Entraide-Parents. "Les boomerangs sont plus au fait du coût de la vie." À 23 ans, Michael Lemelin réatterrissait chez ses parents, à Laval, après une dure séparation. Parti adolescent - il avait alors 17 ans -, il revenait adulte. "Offrir de contribuer aux dépenses allait de soi", dit le jeune travailleur, qui s'apprête, quatre ans plus tard, à retourner vivre en appartement. Il fournit donc 60 dollars par semaine, paie le téléphone, le câble et son abonnement à Internet. Lorsqu'il achète un article qui profitera à toute la maisonnée - un grille-pain, par exemple -, il le soustrait de sa pension. "J'ai eu d'importants honoraires d'avocat à régler pour la garde de ma fille, explique-t-il. En m'accueillant, mes parents m'ont permis de passer au travers." Marie-Hélène, une chargée de cours de 29 ans vivant à Montréal, a aussi jugé normal de participer aux frais de la maison lorsqu'elle est retournée chez sa mère à 26 ans, après une rupture: 250 dollars par mois pour le loyer, plus le tiers du téléphone et de l'épicerie. "J'aurais dû débourser au moins autant en colocation,
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évalue-t-elle. Ainsi, j'avais moins l'impression de vivre aux crochets de maman." Quand on lui remet pour la énième fois sous le nez que ses aînés rêvaient de fuir le toit familial, elle ne sourcille même plus. "Hier, le peace and love des enfants pouvait difficilement cohabiter avec les valeurs catholiques des parents. Les temps ont changé. Ma mère et moi vivons de la même façon. On s'entend très bien. Je n'avais aucune raison de partir." Regardons les choses en face, conseille Marc Molgat, de l'INRS. "La relation parents-enfants n'est plus basée sur un rapport d'autorité comme avant. Du coup, les jeunes ressentent moins l'urgence de s'affranchir." Dans les enquêtes, la grande majorité des jeunes adultes justifient par ailleurs leur présence chez leurs parents par des motifs économiques. Les sous n'expliquent cependant pas tout, croit Barbara Mitchell. "La plupart pourraient se débrouiller autrement, en vivant en chambre ou à plusieurs dans un logement, par exemple. Mais ils devraient changer leur style de vie. Pour certains, les pressions de la société de consommation sont plus fortes que la soif d'indépendance." Ils veulent assurer leurs arrières, nuance Marc Molgat. "Quand on regarde le taux de pauvreté chez les jeunes, on ne peut les blâmer." Le chercheur admet néanmoins que certaines statistiques mériteraient d'être examinées: "Deux fois plus de garçons que de filles habitent au domicile familial passé l'âge de 25 ans. Pourquoi?" Soit, les parents subviennent aujourd'hui plus longtemps aux besoins de leurs jeunes. Mais un retour du balancier n'est pas exclu. "L'obligation alimentaire vaut dans les deux sens, rappelle l'avocat Dominique Goubau. On commence à voir de plus en plus de parents âgés exiger le soutien de leurs enfants. "Je t'ai fait vivre, disent-ils. C'est maintenant à ton tour!
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