À ses débuts, le surréalisme fut une réunion d'hommes jeunes, en révolte contre la société et le monde établis, qui avaient un seul but : connaître le monde et le transformer. Petit à petit, sous la férule d'André Breton, un mouvement se forma, mais il se tint toujours à l'écart des systèmes (philosophiques), des écoles (littéraires). Si, de nos jours, il trouve une place dans les manuels à l'usage des écoles, il résiste encore à l'intégration qui transformerait ce « mouvement », cette « activité » en état. Plus qu'un art littéraire ou plastique ou cinématographique, le surréalisme fut un art de vivre dont la littérature, la peinture et le cinéma furent des moyens pour y parvenir.Pratiquement, tous les esprits avancés de l'époque, les peintres comme les poètes, ont, de près ou de loin, été influencés par le surréalisme. Certains sympathisants du groupe, comme Jacques Rigaut, par exemple, n'ont même jamais rien créé. Mais ils ont mérité au plus haut point le titre de surréaliste par leur comportement exemplaire ; ce sont ceux-là que les surréalistes ont le plus chéris, ceux qui avaient décidé de faire de leur propre vie une œuvre d'art et qui poussèrent jusqu'au bout l'expérience de la vie, jusque dans la mort, refusant de la subir, la décidant point par point, étape par étape (Jacques Vaché, René Crevel, Arthur Cravan).Pourtant, les surréalistes eurent une « doctrine », consignée dès 1924 dans le Manifeste du surréalisme, où Breton traça les grandes lignes d'un réseau alors à peine structuré et qui demeure encore valable.En premier lieu, le surréalisme se porte contre la civilisation occidentale, qui a donné suffisamment de preuves de sa barbarie (la Première Guerre mondiale fut l'élément catalyseur) : civilisation fondée sur la violence, la domination de l'homme par l'homme. Pour les surréalistes, cette situation est non seulement le produit du monde capitaliste, mais celui d'un esprit qui, depuis Descartes, s'applique à ranger les objets dans des catégories, les plaçant par ordre de grandeur tout en leur attribuant une valeur morale parfaitement arbitraire. L'homme fait lui-même partie de ces objets classés. Il est manipulé par les autres, par les idéologies, contraint par les devoirs d'un soi-disant intérêt général. Il oublie de vivre ce qu'il est. L'improbable, l'impalpable, le rêve, le possible, qui échappent à ces classifications, sont réprimés : « Sous couvert de civilisation, sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir de l'esprit tout ce qui se peut taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère ; à proscrire tout mode de recherche de la vérité qui n'est pas conforme à l'usage » (Breton). La logique est mise en cause : « Cette intraitable manie qui consiste à ramener l'inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux. Le désir d'analyse l'emporte sur les sentiments. » Le « sentiment » ou, plutôt, la sensation, la réceptivité, la disponibilité sont valorisés. Breton déclare solennellement : « Je veux qu'on se taise quand on cesse de ressentir. » La folie de l'abstraction menace l'homme. Celui-ci est à « reconquérir » (René Char). La vérité, comme le dit Rimbaud, ne peut être possédée que « dans une âme et dans un corps » et non dans de savantes élucubrations arbitraires, coupées de tout lien avec le réel vécu. Tout comme Rimbaud, Breton voit le mal dans la morale chrétienne. « Rien ne me réconciliera avec la civilisation chrétienne. Du christianisme, je repousse toute la dogmatique masochiste appuyée sur l'idée délirante du » péché originel « non moins que la conception du salut dans un autre monde avec les calculs sordides qu'elle entraîne dans celui-ci. »
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