Le formel et l'informel :une tension créatrice continuelleGilbert RENAUDÉcole de service socialUniversité de MontréalRÉSUMÉPosant d'abord le formel et l'informel comme des notions-images qu'il faut penser dansle rapport qui les lie, cet article explore ensuite la forme et l'informe en essayant demontrer leur trajectoire et leur jeu créateur pour enfin s'arrêter sur le mouvementdynamique qui pousse vers la formalisation et suscite l'informel.1. Les notions de formel et d'informelFormel et informel : deux mots qui ne s'utilisent pas l'un sans l'autre.Deux mots dont il faut, par ailleurs, convenir qu'il est bien difficile decerner exactement leur définition. Deux mots à la mode — i l faut aussi enconvenir — utilisés à toutes les sauces sans que personne ne se soucie deles définir de manière rigoureuse pour en faire des instruments théoriquesqui permettraient de mieux s'approprier le social auquel ils réfèrent.Deux mots qui peuvent ainsi faire bondir les adeptes de la Science, dèslors qu'ils semblent relever davantage du sens commun et que leur usage— au demeurant d'ailleurs fort courant et répandu dans les conversationsdes milieux scientifiques — renvoie davantage à la pensée pré-scientifiquepeu soucieuse de son articulation théorique. Bref, deux mots nébuleux quiéchappent — pour l'instant — à la pensée scientifico-positiviste qui sefonde sur la rigueur et la précision du concept servant à l'articulation ducadre théorique. Au contraire, le formel et l'informel appartiennent à cescatégories « molles » et imprécises qui tentent d'approcher le donné avecle souci de le laisser être plutôt que de dicter ce qu'il devrait être. Ainsi,l'utilisation du formel et de l'informel comme catégories d'analyse130 GILBERT RENAUDrenvoie à une posture épistémologique selon laquelle la connaissance dusocial — ou, du moins, une certaine connaissance du social — ne peut êtrecomplète uniquement dans le cadre d'une pensée qui, à force de se vouloirtrop rigoureuse, en vient à réduire le social à ses décrets et à ne pluspouvoir de la sorte rendre compte de ce qui déborde du cadre d'analyse.Pour être approché, le social requiert une instrumentation diversifiéeseule à même de rendre compte de sa complexité et de samultidimensionnalité. Et l'intérêt suscité par le formel et l'informeltraduit bien, à mon sens, le sentiment d'une limite atteinte par une penséethéorique qui s'est vidée de son potentiel de compréhension à la mesuremême de son souci de surplomber le social. Le formel et l'informelappartiennent en ce sens à ce nouvel effort de connaissance du social quel'on cherche à approcher d'une manière plus souple pour mieux entendrece qu'il dit et non ce que dit la théorie. Ainsi posés et utilisés, le formel etl'informel ne constituent aucunement des concepts; ils appartiennent plutôtà l'univers des notions au sens où l'entend Michel Maffesoli. En effet,sur un objet particulier, le concept est Un, ou tout au moins il s'agenceavec d'autres concepts voisins pour former une unité. Il détermine lavérité, ce qui doit être la vérité. Tout ce qui échappe à son emprise estdans l'erreur, et n'a pas droit à l'existence. Voilà schématisée lalogique du «devoir-être» qui caractérise l'attitude conceptuelle. (...)C'est pourquoi il vaut mieux opposer à la rigidité du concept lamollesse de la notion. Celle-ci satisfait à notre désir de connaissancetout en relativisant le fantasme du pouvoir qui sommeille dans toutintellectuel. (...) En ce qui concerne la connaissance, l'attitudenotionnelle prend acte de l'hétérogénéité, elle donne sur un mêmeobjet des éclairages divers, elle indique qu'il est à la fois ceci etcela*.Le formel et l'informel me semblent bien relever de cette « attitudenotionnelle », parce qu'ils participent de ce mouvement de connaissance oùs'exprime non pas le souci de déterminer la ou les causes, mais plutôtcelui de montrer la tension créatrice de la vie. La vie n'a pas de causes,elle est tout simplement et il convient, par souci intellectuel, d'en rendrecompte. C'est bien cette attitude « contemplative », en quelque sorte, quel'on adoptera ici. Le formel et l'informel seront donc utilisés comme1 M. MAFFESOLI, La connaissance ordinaire. Paris, Librairie des Méridiens, 1985,p. 51.
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catégories notionnelles de pensée qui permettent une large prise de vue
sur la vie en général et la vie sociale en particulier.
On comprendra, dès lors, qu'il ne sera donc pas davantage question de
tenter de réduire le social à un cadre théorique qui, partant d'une
« nouvelle » conceptualisation, enserrerait le donné dans ses décrets. En
fait, comme le faisait remarquer Alain Médam dans un numéro de la
Revue internationale d'action communautaire consacré aux savoirs en crise,
l'heure « n'est plus à la cohérence qui sidère et foudroie la pensée. Elle
est à l'étonnement qui torture la pensée et la provoque2. » L'air du temps
semble ainsi appeler un autre parti pris épistémologique qui permet
d'échapper « ( à ) ce renversement subtil des termes de référence, ( où )
on en vient ... à cet extrême : ce n'est plus l'objet — dans sa concrétude
exubérante — qui détermine et dicte les efforts de la théorie; c'est la
théorie, au contraire — dans sa haute sagesse — qui décide de ce qui est
digne du titre d'"objet".3 » C'est, en quelque sorte, la chance qu'offre le
surgissement actuel de cette référence au formel et à l'informel et le
chercheur en sciences sociales est, à son propos, invité à adopter une
nouvelle attitude qui, plutôt que de chercher encore à saisir et cerner le
social, entend maintenant se laisser saisir par celui-ci. La connaissance du
social, qui se complaît trop facilement dans le positivisme, n'aperçoit tout
simplement plus ce qui déborde de ses cadres si théoriques soient-ils. Ce
qui échappe ainsi de plus en plus à la pensée, c'est la vie et comme
l'exprimait, encore une fois, Alain Médam : « Ce n'est pas à la vie de
conquérir droit de cité dans l'ordre des sciences de la vie; c'est à ces
sciences qu'il revient — à ras de sol — de retrouver les émotions de la
cité et les mouvements effectifs de la vie4 . »
On le voit bien : le formel et l'informel participent, en fait, d'une
posture épistémologique qui s'efforce de renouveler la connaissance du
social en se laissant davantage appréhender par celui-ci. Plusieurs seront
pourtant tentés de conceptualiser ces notions en espérant — avec les
meilleures intentions — en faire des instruments d'analyse et d'action
efficaces. Ils les videront ainsi de la richesse et de la fécondité dont elles
sont porteuses parce que, tout simplement, elles donnent à penser de
multiples manières la vie sociale. C'est, à mon sens, en respectant
précisément cette absence de rigueur dans la définition, cette mollesse de
précision, qu'on est le mieux à même d'assurer la fécondité d'une image
2 A. MÉDAM, « Des grilles et des vies », RIAC 15/55, (printemps 1986), p. 151.
3 îbid., p. 152.
4 îbid., p. 157.
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parlante dont on sent bien qu'elle nous renvoie à quelque chose de
fondamental. Mais, du coup, l'on doit renoncer à Pélaboration d'une
pensée utilitaire qui permettrait — conformément aux voeux de tous les
gestionnaires du social — d'accroître l'emprise que l'on peut avoir sur la
vie sociale. Le formel et l'informel nous apprennent, en définitive, que le
social — et la vie — échappe continuellement aux impératifs qu'une
pensée par trop réductrice voudrait lui imposer. Ils renvoient ainsi au jeu
perpétuellement recommencé — et renouvelé — d'une existence jamais
achevée et toujours en mouvement. Si le formel et l'informel ont tant de
mal à se tailler une place reconnue dans l'univers scientifique, c'est bien
parce qu'ils viennent narguer la prétention à l'achèvement et à la maîtrise
du social qui a été la principale préoccupation de la pensée moderne. En
fait, ils ne servent à rien d'autre qu'au souci et au plaisir intellectuels de
se doter de catégories qui permettent de mieux comprendre le donné tout
en le laissant être. Ils contribuent de la sorte à bien marquer cette césure
dont parle Michel Maffesoli « entre une sociologie positiviste, pour qui
chaque chose n'est qu'un symptôme d'autre chose, et une sociologie
compréhensive qui décrit le vécu pour ce qu'il est, se contentant de
discerner ainsi les visées des différents acteurs5. » Le formel et l'informel
me semblent bel et bien participer de cette sociologie compréhensive dont
la préoccupation est de respecter le vécu en faisant usage de la notion qui
« exprime le désir et le souci intellectuel sans pour autant contraindre ou
passer à côté, elle ne fait que lier en pointillé ce qui est déjà en
morceaux^. »
Comme notions donc, le formel et l'informel apportent un éclairage
spécifique sur le vécu. Ils constituent, comme je l'ai déjà indiqué, une
image parlante ( il s'agit là d'un pléonasme, car une image ne vaut-elle
pas mille mots? ) qui vient associer une chose et son envers. En effet, le
formel et l'informel — ou la forme et l'informe auxquels ils se
rapportent — sont indissociables ( tout comme le sont l'ordre et le
désordre, le fonctionnement et le dysfonctionnement ); ils constituent un
« couple notionnel » où l'un ne se conjugue pas sans l'autre. Dans son
introduction à Simmel, Julien Freund signale à cet égard que « l'erreur à
ne pas commettre, c'est de concevoir la forme comme un ensemble ou une
figure dont tous les éléments seraient consonants. Si la religion ou la
politique par exemple sont des formes, elles incluent inévitablement les
5 M. MAFFESOLI, op. cit., p. 18.
6 lbid., p. 63.
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oppositions et les contestations qui les déchirent' . » Du formel et de
l'informel, nous sommes passés à la forme. Car c'est de forme qu'il s'agit
d'abord et avant tout, me semble-t-il. En effet, qu'entendons-nous par
formel si ce n'est ce qui participe de la forme? La formalisation, c'est de
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