Cette cité inspirée a donné son nom au plus célèbre des chemins vers Compostelle, la Via Podiensis. Elle est aussi la capitale d'un pays secret mais envoûtant, le Velay.
La cathédrale Sainte-Marie-de-l'Annonciation veille sur des ruelles pentues dont la richesse surprendra plus d'un visiteur. La messe du matin se termine. Le recteur réunit les pèlerins autour de la statue de Saint-Jacques qui fait face à l'autel et demande à chacun d'où il vient - une petite dizaine de nationalités ce jour-là - et vers quelle destination il repartira tout à l'heure. Les courageux qui annoncent rallier Compostelle à pied sont chaleureusement applaudis. Un Salve Regina un peu hésitant s'élève en trois langues pendant qu'une soeur manoeuvre la grille, qui, du pavement de l'allée centrale, ouvre sur le grand porche, douze mètres plus bas, et laisse s'engouffrer une froide bourrasque. Les pèlerins ont repris bâton et sacs ornés de la coquille des jacquaires et gagnent en ordre dispersé le chemin qui les mènera ce soir à Saint-Privat-d'Allier. L'ascension d'un premier coteau bien raide révèle le visage d'une ville inspirée, à la fois sanctuaire marial et départ de la Via Podiensis (voie du Puy, en latin Via Podiensis), la plus empruntée des routes vers Saint-Jacques-de-Compostelle: la cathédrale aux couleurs des pierres volcaniques du Velay, surplombée par la statue de Notre-Dame-de-France encore emmaillotée d'échafaudages, Saint-Michel d'Aiguilhe, délicate chapelle romane dont le clocher prolonge une vertigineuse cheminée volcanique et, un peu à l'écart, un imposant Saint-Joseph de béton armé.
Autant de sommets qui, loin au-dessus des toits, semblent vouloir s'affranchir de la terre en s'ouvrant vers le ciel. Le ciel et la terre, la grande affaire du Puy-en-Velay, d'où partent chaque année 30.000 pèlerins aux motivations très variées. Le GR 65, exhumé des broussailles dans les années 60, est devenu le camino, comme l'appellent ceux qui, toujours plus nombreux, répondent chaque année à son appel. Une ferveur itinérante oubliée en Europe depuis le Moyen Age et ranimée au tournant des années 80 par des Européens en quête de sens, d'unité et de spiritualité. Ce goût du vagabondage, qui est aussi celui de la liberté, a redonné vie aux villages perdus des plateaux, à ces fermes massives éparpillées autour des chapelles romanes. Saint-Roch à Montbonnet, Rochegude et tant d'autres, dont les clochers à peigne annoncent le Sud, la beauté sauvage des gorges du haut Allier... Le chemin quitte le Velay pour la Margeride, puis l'Aubrac, vers le Rouergue et cette autre merveille de la foi qu'est Conques.
Un sanctuaire marial nimbé d'innombrables légendes
Un millénaire plus tôt, Godescalc, évêque du Puy, ouvrait la voie qui porte encore le nom de la ville, en devenant le premier pèlerin français à gagner Compostelle pour se recueillir sur la tombe du disciple du Christ. A l'époque de Godescalc, la cathédrale est déjà un sanctuaire marial nimbé d'innombrables légendes, une grande église érigée sur un piton du mont Anis en lieu et place d'un temple antique. Elle devient, deux siècles plus tard, la plus audacieuse des cathédrales d'Europe: par son style unique d'abord, roman aux accents carolingiens, byzantins et mozarabes, mais surtout par le génie de ses bâtisseurs, qui, pour donner à l'édifice les majestueuses proportions que nous lui connaissons, gagnèrent quatre travées sur le vide. La ville haute est le domaine exclusif du clergé épiscopal; la ville basse, celle des bourgeois, des marchands et des artisans. Protégée, la vieille ville offre aujourd'hui aux visiteurs ses rues tortueuses et pentues, ses façades éclectiques et ses placettes animées, fruit d'une rénovation réussie. Rénové également, l'Hôtel-Dieu, à l'origine édifié pour donner asile aux pèlerins et inscrit avec la cathédrale au patrimoine mondial de l'Unesco, au titre des chemins de Saint-Jacques, afin d'accueillir un musée et de grandes expositions. Les évêques du Puy furent aussi, jusqu'à la Révolution, comtes du Velay. La ville a conservé son rang et règne toujours sur ce vaste bassin posé sur le dos d'anciens volcans qui lui font comme un rempart.
Samedi, jour de marché place du Plot depuis des temps immémoriaux
Un pays au caractère affirmé qui n'est plus tout à fait l'Auvergne, mais déjà un peu le Languedoc, avec de fortes accointances du côté de la riche vallée du Rhône et de la Provence. Pour Laurent Wauquiez, maire du Puy-en-Velay, «le pays et la ville ont toujours su, par le génie des hommes, aller au-delà du destin qui devait être le leur, le dépasser, comme l'ont fait les bâtisseurs qui ont jeté sur le vide cette cathédrale unique». Au calme de bon aloi de la semaine, succède l'animation du samedi matin, jour de marché place du Plot depuis des temps immémoriaux. Fromages aux artisous, du nom des petites araignées qui en façonnent la croûte, morilles et mousserons des plateaux, charcuterie et lentilles vertes délicates et parfumées qu'une centaine de producteurs, après s'être battus pour obtenir une appellation d'origine contrôlée, défendent avec ardeur. François Gagnaire, chef étoilé perfectionniste et malicieux, en a même fait un caviar local! Il complète, d'étals en conversations animées, les emplettes de la semaine auprès de ses producteurs favoris en compagnie de Jean-Pierre Vidal, dont la table, à Saint-Julien-Chapteuil est un autre incontournable de la région.
Attachés au Velay où ils ont grandi, ils n'ont pas assez de mots, mais du talent à revendre, pour vanter la richesse de leur terroir. Aux plateaux du Devès et du Meygal, les lentilles, les agneaux noirs du Velay et les veaux de lait; aux prairies d'altitude du Mézenc, immenses et fleuries de jonquilles, le fin-gras, un boeuf auquel le ciste (une variété de fenouil sauvage) des pâtures donne une saveur unique. Et, partout, de grands troupeaux de montbéliardes pour les fromages. Il faut se perdre sous le ciel souvent tourmenté de la Haute-Loire, savourer au détour des routes étroites le jeu du soleil sur le vert tendre des pâtures, le rouge des labours et l'ombre des bois sur les gardes, ces grosses buttes volcaniques qui ondulent les plateaux. Flâner dans les villages d'apparence déserte en murmurant ces vers de Maurice Fombeure offerts à celui de son épouse, «Siaugues-Saint-Romain/Au bruit des fontaines/Siaugues-Saint-Romain/Vous prend par la main/Ce n'est qu'un village/Ouvert sous les cieux/Village sans âge/Où l'on est heureux».
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