Un second personnage se présente ; et ce sont les mêmes contorsions, les mêmes hurlements ; un cortège traverse la scène en agitant des drapeaux et des parasols chinois d'une richesse inouïe... puis c'est une bataille où les lances se mêlent, où les larges sabres, recourbés à l'orientale, tranchent les tètes au masque peint. Les cadavres jonchent le théâtre, le vacarme redouble, un grave régisseur en robe noire s'avance au bord de la scène et prononce quelques mots : entr'acte.Et là-haut, dans les galeries qui entourent la salle, court comme un long murmure : je me retourne, quel tableau !Tous les Annamites, hommes ou femmes, tous les Tonkinois à chignon noir, sont là, massés en haut des gradins, formant les plus pittoresques groupes, ajoutant à ce spectacle inoui d'exotisme, une note de couleur locale d'une inoubliable intensité. Ils suivent, eux, de leurs petits yeux, grands ouverts, les invraisemblables aventures du roi de Duong Ly-Tieng-Vuong ; leurs visages parcheminés s'éclairent, leurs traits impassibles s'animent : ils se poussent du coude, et tout bas, se communiquent leurs impressions.Ils sont tous venus, du reste, les habitants des villages coloniaux : graves Arabes en longs burnous ; Tunisiens à moustache noire, en petite veste claire; Sénégalais, dont on ne distingue, dans la pénombre, que les yeux brillants et les dents blanches ; Canaques à cheveux crépus et au large rire ; Javanais ébahis et timides, à la face jaune et imberbe... et tous, remplissant le promenoir du théâtre, groupés contre les colonnes en bois, découpées à la chinoise, juchés sur les meubles aux fines sculptures, assis, les jambes pendantes, sur les balustrades, impassibles, le cou tendu, mettent là comme un de ces tableaux où l'on voit, dans des architectures de fantaisie, s'entasser des foules bigarrées, œuvre de quelque Véronèse oriental.Mais le vacarme recommence, le spectacle continue : cette fois, l'infortuné monarque dont on nous représente les aventures est obligé de fuir dans la plaine ; son ennemi le poursuit : un figurant se présente, il tient d'une main une torche de pétrole, de l'autre une bouteille d'eau-de-vie, dont il boit à même une large lampée. Ses joues se gonflent, il s'accroupit, et, tout à coup, à un signal du régisseur, il souffle l'alcool sur la flamme de sa torche ; la scène s'enflamme, le feu retombe en poussière lumineuse : ce vaporisateur d'un nouveau genre, cette mise en scène d'une simplicité antique, est le point culminant du drame : cela veut dire que les ennemis de Ly-Ticng-Vuong, renoncent à le poursuivre, incendient la lande dans laquelle il s'est réfugié; on le voit, du reste, dans un coin du théâtre,ce malheureux monarque, se tordant de douleur, avec sa suite, et imitant les contorsions d'un homme en train de rôtir. J'avoue que je n'aurais pas compris, sans le livret qu'on avait pris soin de nous distribuer, toute l'importance de ce dramatique incident.
Alors le roi, dépouillé de son riche costume, les cheveux dénoués et flottants, erre à l'aventure, sans suite, sans mandarins, sans armée, jusqu'à ce que son fils adoptif, un très courageux jeune homme qui a de belles plumes sur la tète, le débarrasse enfin de ses ennemis et lui rende un peu de tranquillité et de calme dont il doit avoir grand besoin.
Telle est, esquissée à grands traits, cette pièce étrange dont nos confrères chercheront peut-être à dégager une esthétique théâtrale quelconque. Nous n'avons voulu montrer que le côté extérieur de ce spectacle et résumer l'impression qu'il a produite sur les assistants. Rien n'a été négligé pour assurer le succès de cette curieuse exhibition ; les costumes, véritables merveilles de soie et d'or nuancés, sont d'une richesse à faire rêver; les acteurs, qui répondent aux noms de Tho, Cho, Qui, Thinh, Bueb,Rit,Thao,Phung, Dang sont doués d'un entrain et d'une. verve inoubliables ; même, pour se rendre les dieux propices, ils ont placé dans leur théâtre l'image de Bouddha, le protecteur de la guerre, de l'industrie et des arts. Souhaitons que Bouddha favorise cette très intéressante entreprise, et continue d'attirer au Théâtre Annamite la foule qui s'y presse depuis le jour de l'ouverture.
© L'exposition de Paris - 1889
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